Emailler :V. Parsemer quelque chose de détails qui en rompent la monotonie (larousse)

Renaissance : La charité Grecque de Jean Pénicaud II

Renaissance : La charité Grecque de Jean Pénicaud II

AUTEUR : Œuvre attribuée à Jean Pénicaud II (artiste français de Limoges, de 1515 à 1588)

DATE: 1545, 16ème siècle CULTURE: Renaissance

MUSEE : Walter Art Museum, Baltimore, USA

MATERIAUX/TECHNIQUES : Plaque de cuivre émaillé en grisaille au blanc de Limoges

DIMENSIONS : 35 x 30,5 cm.

DECORATION, FONCTION, DESCRIPTION :

Description :

Cette œuvre se nomme « Charité Grecque » ou parfois « charité Romaine » et date de 1545. Œuvre attribuée à Jean Pénicaud II, enfant d’une célèbre dynastie d’émailleurs Limogeaud, cette plaque ovale en cuivre est émaillée avec la technique de la grisaille au blanc de Limoges (variations de blanc, gris, et noir, pour plus d’information sur la technique de la grisaille voir l’article ici)

La scène représente deux personnages : un homme âgé et une femme. La femme allaite l’homme, qui est enchainé par une paire de menottes. La femme, de trois-quarts, est habillée à la mode italienne du 16ème siècle. L’homme porte un turban et une tunique. Il paraît affaiblit.

La scène représente une légende romaine nommée « charité grecque » (ou romaine) thème très fameux à l’époque de la Renaissance et repris par de nombreux artistes dans de nombreux domaines (notamment en peinture). Rubens, par exemple, a réalisé une peinture sur ce thème.

Deux lignes dorées soulignent le bord de la pièce. La plaque est signée en lettre d’or I.P surmonté d’une couronne dorée. C’est la signature d’un artiste émailleur nommé Jean II Pénicaud, émailleur à Limoges entre 1532 et 1549. La couronne est le symbole utilisé par tous les émailleurs de sa dynastie (Nardon Pénicaud, Jean I Pénicaud, Jean II Pénicaud, Jean III Pénicaud).

Greek Charity, de Jean Penicaud II, Grisaille, 1545

Greek Charity, de Jean Penicaud II, Grisaille, 1545

Technique et matériel :

Cette pièce est composée d’une plaque de cuivre émaillée en grisaille. Cette technique est dérivée de l’émail peint et fait son apparition à Limoges à la Renaissance. La grisaille consiste à recouvrir une surface métallique d’un émail monochrome sur un fond obscur en l’appliquant au pinceau puis en réalisant des rayures à l’aiguille pour réaliser des nuances de gris. Le blanc sur fond noir ou bleu est souvent utilisé mais il existe aussi des fonds marron, violet, …

La grisaille apparaît à la Renaissance car cette époque de découverte de nouveaux pays et de découverte de l’imprimerie est l’époque d’explosion des gravures. Ce procédé permet en effet de reproduire un dessin pour en faciliter sa diffusion. Beaucoup d’émailleurs de cette époque s’inspirent des gravures trouvées dans les catalogues et en font leur principale source d’inspiration. Rares sont ceux en effet qui inventent leurs propres compositions : ils transposent plus volontiers en émail un modèle gravé, qu’ils adaptent au besoin à leur support. La grisaille nait à cette époque (dans le monde des émailleurs mais c’est aussi une technique pour le vitrail) car, la variation des gammes de gris, le noir et le blanc et les techniques de pose (pinceau ou aiguille pour reproduire les lignes de la gravure) imitent avec exactitude l’effet de la gravure.

Le blanc déposé pour la technique de la grisaille à l’époque du Moyen-Age s’appelle le blanc de Limoges. En réalité, le blanc de Limoges n’est pas un émail, il est plus proche d’une peinture vitrifiable. C’est un mélange de silicate de sodium et de stéarate de plomb. La poudre, très fine est ensuite mélangée à une essence grasse (alors que le liant de l’émail est de l’eau). A l’époque de la renaissance, l’huile de rose ou de lavande était sans doute utilisée (bien que nous ayons perdu beaucoup d’information sur les recettes de cette époque car les familles d’émailleurs conservaient jalousement leur secret), aujourd’hui on utilise de l’huile de paraffine.

Les étapes de la grisaille à l’époque du Moyen-Age sont les suivantes :

  • Recouvrir une plaque de métal (du cuivre le plus souvent car comme le fond ne se voit pas, il est inutile d’utiliser de l’argent ou de l’or) d’une couche uniforme d’émail obscur et opaque (noir le plus souvent)
  • Après la cuisson de cette première couche, l’émailleur dépose, à l’aiguille ou au pinceau, du « blanc de Limoges » de différentes densités, donnant à la matière divers effets de gris et de blancs, d’ombres et lumières. Plus la couche est mince, plus le blanc deviendra gris foncé car le fond noir ressortira par transparence.
  • Plusieurs couches et cuissons sont nécessaires pour  arriver à rendre les blancs très lumineux.
  • Le blanc de Limoges est déposé au pinceau. Pour réaliser des motifs plus fins (les yeux par exemple), le blanc est retiré à l’aiguille pour laisser apparaitre le fond noir. L’aiguille peut aussi être utilisée pour ajouter des rayures dans le blanc et reproduire ainsi les rayures des gravures.
  • Avant chaque cuisson, il est nécessaire de réaliser un séchage lent comme pour les peintures vitrifiables pour brûler complètement le liant gras avant enfournement. En effet, s’il reste une présence du liant, le blanc de Limoges peu devenir opaque, former des cloques ou se fragmenter lors de la cuisson, détruisant ainsi le travail réalisé. La pièce doit être séchée par passages rapides dans le four. Le blanc de Limoges va devenir progressivement marron, preuve que les graisses brûlent. Une fois que plus aucune fumée ne s’échappe de la pièce, elle peut être enfournée pour cuisson complète.
  • Lors de la cuisson, il faut veiller à ne pas trop cuire la pièce. En effet, les peintures vitrifiables et le blanc de Limoges sont plus sensibles à la cuisson que l’émail. Une cuisson trop longue ou à feu trop fort les fait disparaître.

 

De nos jours, la technique de la grisaille avec le blanc de Limoges existe toujours (bien que la recette du blanc de Limoges utilisée au Moyen Âge ait été perdue). Il existe cependant une technique moderne nommée grisaille opale, dérivée de cette technique mais qui n’utilise que des émaux. Un émail opale blanc est appliqué au pinceau ou à l’aiguille sur un fond émaillé en bleu foncé transparent. La variété des tons de gris de l’émail opale est légèrement moindre que pour le blanc de Limoges mais cette technique présente moins de difficultés dans sa réalisation. En effet, comme expliqué plus haut, le liant du blanc de Limoges est une essence grasse qu’il faut absolument brûler avant la cuisson pour éviter les risques de désagrégation à la cuisson. Le liant de l’émail étant de l’eau, il faut simplement le faire évaporer avant la cuisson. De plus, la cuisson de l’émail peut se faire à des températures plus hautes sans risques pour la pièce.

Fonction :

Contrairement aux œuvres du moyen-âge qui avaient toujours une fonction religieuse, ou pratique, cette plaque a une fonction seulement décorative. A la Renaissance, les émailleurs réalisent de nouveaux types d’objets : pièces de vaisselle ornementales destinées à agrémenter les appartements de riches commanditaires, plaques émaillées pour décorer les cabinets. Leurs œuvres ne servent donc plus exclusivement de support à la piété individuelle, elles sont devenues un élément majeur du décor de luxe à la Renaissance. Le roi et la cour de France deviennent leurs clients privilégiés par l’intermédiaire de l’évêque de Limoges qui introduit Léonard Limosin (1508 – 1577), artiste émailleur de Limoges à la cour de France. Alors que l’émail était en disgrâce depuis le 14ième siècle, l’usage de l’émail peint se diversifie et la clientèle s’élargit aux hautes sphères de la société durant le 16ième.

Elements décoratifs et iconographie :

Cette plaque représente un thème classique de la Renaissance : La charité Grecque (ou romaine).  Le thème de la pièce fait référence à une légende apparue à Rome au début du second siècle avant JC. Cette légende raconte l’histoire de Cimon et Pero. Cimon, athénien (ce qui créé la confusion dans le nom à donner à cette histoire) condamné à mourir de faim est visité chaque jour en prison, par Pero, sa fille (ou sa sœur selon les versions). Avant d’entrer, les gardiens de la prison vérifiaient qu’elle ne lui apportait pas de nourriture mais Pero nourrissait son père (ou frère) au sein pour lui éviter de mourir d’inanition.

Cimon est représenté portant un turban et une tunique courte. Ses mains sont prises dans des sortes de menottes reliées par une barre. Pero est habillée à la mode du 16ème siècle

En cherchant des informations sur cette légende, il apparaît que cette histoire a été rapportée avec des variantes dans divers livres antiques (« Factorum et Dictorum Memorabilium Libri IX », un texte écrit vers 30 après JC par Valérius Maximus mais on retrouve la même histoire chez Pline l’ancien aussi). On a trouvé aussi 3 fresques, à Pompéi et conservées au Musée archéologique national de Naples, qui représentent cette scène. Le thème fait écho à la légende mythologique de Junon allaitant Hercule (et créant, par un jet de lait, la Voie Lactée).

La charité romaine, Artiste inconnu, Fresque provenant de Pompéi, Milieu 1er siècle av. J.-C., Musée Arquéologique National de Naples, Italie

La charité romaine, Artiste inconnu, Fresque provenant de Pompéi, Milieu 1er siècle av. J.-C., Musée Arquéologique National de Naples, Italie

Cimon et Péro, P. P. Rubens (1577-1640), 1612, Huile sur toile, 140.5 x 180.5cm, Musée National de L’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie

Cimon et Péro, P. P. Rubens (1577-1640), 1612, Huile sur toile, 140.5 x 180.5cm, Musée National de L’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie

La Charité romaine, Claude Mellan (French, 1598–1688) et Simon Vouet (French, 1590–1649), gravure, 18.2 x 12.5 cm, The Metropolitan Museum of Art, New-York, USA

La Charité romaine, Claude Mellan (French, 1598–1688) et Simon Vouet (French, 1590–1649), gravure, 18.2 x 12.5 cm, The Metropolitan Museum of Art, New-York, USA

Le thème de l’allaitement adulte est aussi repris la par les Chrétiens. Plusieurs miracles racontent que la vierge a guérit des moribonds en les allaitant. Il n’est pas étonnant que la légende de Junon et Hercule ait été reprise par les Chrétiens et les Catholique. Donner son sein est le symbole de la charité et du don fait à autrui, aux pauvres et aux affamés. Le thème de la charité romaine a été abondamment traité en peinture du 16ième au 18ième siècle (Rubens, Fabre, …). La popularité du sujet, au-delà de la charité, est probablement due aussi à son caractère érotique.

On remarque de jusque dans les années 1530, les émaux limousins représentent essentiellement des scènes religieuses. Après cette date, le répertoire s’enrichit de scènes profanes et particulièrement mythologiques qui forment désormais la majorité de la production comme c’est le cas dans cette pièce. Cette tendance, qui touche toutes les formes artistiques, est l’un des caractères notables de la Renaissance qui redécouvre l’Antiquité et la remet au goût du jour. Emerveillés par l’esthétique « classique », les artistes empruntent les thèmes et motifs gréco-romains. Les émailleurs ne restent pas en marge de ce vaste mouvement. Cette inspiration nouvelle modifie l’iconographie de leurs œuvres. Ils décorent désormais leurs plaques et pièces de vaisselle de portraits à l’antique ou de figures et de scènes empruntées à la mythologie.

On remarque que cette pièce est signée d’un IP ainsi que de la couronne, typique de la signature de la famille Pénicaud. En effet, à la renaissance, la pratique de l’émail change. Les émailleurs qui au moyen-âge travaillaient dans des ateliers de manière collective et anonyme, deviennent non plus des artisans mais des artistes et signent désormais leurs œuvres, souvent par le biais d’un monogramme. C’est à cette époque que de grandes dynasties d’émailleurs apparaissent : les Limosin, les Pénicaud, les Reymond ou les Court-Courteys qui rencontreront le succès entre le 15ième et la fin du 16ième siècle.

Les Pénicaud sont une famille d’artisans émailleurs du 15 et 16ème  siècle de Limoges. Nardon Pénicaud, né vers 1470, est le premier émailleur de la famille à s’illustrer mais, des documents prouvent l’existence d’émailleurs de la même famille avant lui. Jean I Pénicaud, lui aussi connu était probablement son frère cadet. Jean II, auteur de la pièce présentée est quant à lui, l’un fils de Nardon ou de Jean I (pas de certitude). Sa production a débuté vers 1532. Il est un spécialiste de la technique de la grisaille. La dernière œuvre connue de lui date de 1549. Ses œuvres présentes souvent des thèmes mythologiques ou allégoriques. Ce qui correspond bien à la pièce présentée dans ce document. Il signe de son nom latin (PENICAVDI IVNIOR) : un P suivi d’un I (ou I.P). Jean II a eu un fils nommé Jean III lui-même émailleur à Limoges. Un autre membre connu de la famille Pénicaud est Pierre, autre fils de Nardon qui était émailleur et peintre verrier.



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